Abel Pradalié
« De la nature »
Paris / Peinture
05 octobre > 16 novembre 2024
Vernissage : vendredi 04 octobre 2024 à 18h30
Entrée libre
Légende : Chêne de Fontaine, Abel Pradalié, 130x97cm, huile sur toile, 2020.
La première fois que j’ai vu les tableaux d’Abel Pradalié, ils m’ont paru familiers. Oui, familiers dans le sens où j’avais l’impression de pouvoir immédiatement les dater. J’y voyais tout ce que mon œil d’amoureuse de la peinture aime par-dessus tout : la matière onctueuse de l’huile qui s’arrondit et s’alanguit dans les interstices des arbres feuillus et sur les carnations rosées des corps de femmes. Ceux-ci sont offerts, comme ce visage peu farouche de la jeune Chloé, paraissant éclos de la fraîche rosée matinale. Il pose pour le peintre dans un éloquent souvenir de L’Olympia de Manet. Facilement, avec délectation, on imagine des paraboles entre les chairs lascives et les offrandes de la nature. La peinture est ici arcadienne, épicurienne. Dans des scènes plus érotiques, à l’instar de Dune dans laquelle les plis et replis du sexe féminin cherchent la toison frisée, on arrive presque à une élégante image abstraite, dont le relief, très explicite, fait inévitablement penser à L’Origine du Monde de Courbet. Je voyais donc, devant moi, des hommages ou plutôt des clins d’œil mutins au 19e siècle. Ici, le bucheron sous son chêne m’évoque Bonjour Monsieur Courbet, peut-être parce que sa pose ressemble à celle du peintre bravache partant avec son chevalet portatif sur le motif pour inventer, avec d’autres, ce qu’on appellera l’impressionnisme. Abel Pradalié, lui aussi, embarque ses pinceaux pour peindre avec gourmandise, en pleine nature, de petits paysages. J’ai donc cru un court instant à la machine à remonter le temps. J’ai cru que je me trouvais chez un peintre du 19e siècle qui aurait su conjuguer avec science le génie pré-expressionniste de Courbet, le non-conformisme de Manet et les délices lumineux de Vallotton.
Car les contrastes de lumières sont un des grands talents d’Abel Pradalié. Si francs, si percutants, qu’ils restent au fond de l’œil à la manière du désir qui s’enflamme. Le peintre les travaille avec minutie dans les détails d’un lobe d’oreille, d’une chute de cheveux ou d’une main au repos, toujours féminine. Dans ces cadrages osés, le nu féminin est exalté, observé, désiré. Le corps illumine la toile, boit le papier, s’ancre dans le bois ou le marbre au point de devenir la matière elle-même à la manière des métamorphoses ovidiennes. La nature encore, humaine, charnelle, se mariant aux atomes du monde. Abel Pradalié rejoue sans cesse les moments de modernité artistique qui ont, à une période donnée, révolutionné la manière de peindre. Ainsi du Déjeuner sur l’herbe ou du Concert champêtre de Manet où, tout à coup, la réalité visible laissait entrevoir les fantasmes invisibles. Abel Pradalié revisite ces œuvres, quitte à en créer des compositions inversées, afin de nous montrer les mystères qu’elles peuvent cacher. Le biais de l’historicité est peut-être aussi utilisé pour avoir une plus grande liberté dans les sujets qu’il aborde. Le recours à la citation permet de s’affranchir d’une perspective contemporaine qui n’aborderait plus ces sujets de cette façon. Il le dit lui-même : « Le 19e siècle était une période de liberté dans la matière et les recherches plastiques par rapport à la figuration. Ce qui m’intéresse c’est le flux entre les époques ». C’est aussi une manière de faire le voyage vers ces périodes fantasmées de la peinture. « Aujourd’hui, les peintres essayent de représenter des photographies, moi j’essaye de représenter des peintures » explique-t-il, déplorant le recours trop souvent dénué d’émotion et de désir de matière picturale dans la figuration actuelle. Mais ce qu’il aime par-dessus tout ce sont finalement moins les sujets peints, qui sont des prétextes, que la peinture elle-même, envisagée comme le désir à l’état pur.
Julie Chaizemartin,
Journaliste et critique d’art.
Le 19 septembre 2024
Voici un lien vers le site de l’artiste : http://www.abelpradalie.fr/bio/