Karine Hoffman
“L’ombre de Goya”
Paris – France / Peinture
23 mars > 17 avril 27 avril 2024 (prolongation)
Vernissage : vendredi 22 mars à 18h30
Entrée libre
L’ombre de Goya
L’exposition L’ombre de Goya ressemble à une collection de souvenirs. A l’instar de Charles Baudelaire qui a tant regardé et admiré Goya, Karine Hoffman semble pouvoir dire à son tour « J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans ». Car en effet, l’exposition est un coffre à bijoux, rempli de divers tiroirs, brillants, multiples, sombres et aussi beaux et silencieux que funèbres. Après la récente réalisation de très grandes œuvres pour d’autres projets, la peintre a délibérément choisi l’intime et les petits formats pour porter haut, mais si pudiquement, la voix d’une ombre, celle de Goya.
Le regard tourné vers l’intime ici n’est cependant pas synonyme de l’absence de l’Histoire, si viscéralement chère au cœur de l’artiste. Au contraire, elle l’aborde ici de manière frontale, émotionnelle et romantique : elle raconte les morcellements, les détails, les visions et les fragments que les cœurs, seulement, peuvent connaître. En réalité, elle n’aborde pas l’Histoire par sa prétendue grandeur, mais plutôt par ses douleurs innombrables qui font tout un peuple de pulsions, de révélations et de surgissements multiformes. Et l’histoire qu’elle chuchote à nos oreilles est profondément liée, d’ailleurs, aux conflits en vigueur dans notre monde actuel. Goya a si crûment dénoncé la guerre que son ombre plane aujourd’hui comme une menace : la trace qu’il laisse est un héritage autant qu’un avertissement, bourdonnement sourd et chtonien, une impression gravée à même les corps.
Yeux, mains, membres, champignons et symboles s’érigent et se rassemblent face à notre vision troublée par ce jaune d’une lumière systématiquement inquiétante. Chez Karine Hoffman, tout est affaire de lumière, et tout, ou presque, fait référence à ce qui éclaire ou à ce qui est privé de soleil. Sa peinture est un témoin ; le jaune et le faux noir – un mélange de brun et de bleu – qu’elle a créés sont des matières et bien plus que des couleurs. Et c’est de cette matière que naît son regard de peintre sur ce qui l’entoure et ce qui la précède. Sa collection d’images dépasse le symbolisme pour incarner une sorte d’atlas où se seraient accumulées des cicatrices à l’excès. Ce sont des blessures et des brûlures qui murmurent et parlent clandestinement, qui tentent de prévenir et d’alerter, de conduire des mémoires jusqu’aux siècles d’après et de jeter des regards éperdument humains là où il n’y a plus un souffle. La peinture de Karine Hoffman est un oxymore : désespérément sombre et pourtant si luminescente. D’un éclat que seule la sensibilité peut donner aux choses.
Laure Saffroy-Lepesqueur,
Historienne de l’art