Michel Mazzoni
Du 15 novembre au 19 décembre 2008 à la Galerie Raymond Banas
“Le cinéma et le roman ont enrichi mon vocabulaire visuel, ils servent de référence dans ma conception d’images fixes ou en mouvement (vidéo)*.
Je considère mes séries comme des travaux de recherche qui consistent à mettre en premier plan des traces de vie qui se perdent habituellement dans la masse des données dans laquelle nous vivons, à mettre en doute la perception du réel par une sensation de vide dans l’image qui marque l’irruption d’une inquiétude contemporaine et l’isolement de l’individu.
Pour moi, ce qui est important, c’est l’intensité du regard, observer, analyser, voir ce qu’a priori nous n’aurions pas regardé. Le regard est un outil majeur pour créer un récit et mettre en doute la notion du spectateur. Certains de mes travaux invoquent le regard d’un voyeur ou d’un observateur. Il fonde la structure par laquelle le récit fonctionne dans mes images, l’interaction entre l’absence et la présence. Aussi les détails comptent, tout se construit sur des détails, ils font partie de notre quotidien et nous renvoient à l’espace et au temps.
Dans mes séries sans personnages (zones, i couldn’t find it anywhere…), je traite des lieux où des individus pourraient avoir été et sont partis au moment où l’image a été prise. Des signes visibles indiquent que quelque chose semble être arrivé, le sujet qui pourrait avoir causé ces traces est absent, cette absence pousse celui qui regarde mes images à imaginer ce qu’il aurait pu y voir…”
* texte relatif à l’ensemble des travaux photographiques et vidéos © Michel Mazzoni.
Interzone (entre-texte) ou le film d’un regard
Il n’y a pas de porte d’entrée dans le film de Michel Mazzoni, pas plus que d’indication de sortie : les plans d’ouverture et de fermeture sont cut, et l’ordre des séquences ne paraît, en première apparence du moins, répondre qu’à l’aléatoire. L’ébauche d’une narration semble se heurter au côté mat, frontal, obstiné et littéral de ce qui nous est montré : terrains vagues, âmes vagues, lieux et êtres à l’abandon, remparts lisses et aseptisés, lambeaux de ville qui s’épient ou se défont, d’une nature qui se cherche, sous une lumière crue presque irréelle ou dans la pénombre. Mais c’est précisément à cela que tiennent les ambiances cinéma des photos de Mazzoni, à cet ntre-deux, à cet imprévisible côté chien et loup qui transfigure – ou mieux, imprègne – le banal : un univers familier mais en décalage, une « inquiétante étrangeté » aux frontières troubles, le soupçon que la vraie vie est ailleurs et que toute image n’est que mentale… La réalité semble contenir son propre double ou son envers, la surface des eaux être en contact direct avec le fond du puits, comme dans certains films de Bergman, de Lynch, d’Antonioni ; et l’on s’attend à voir surgir, au détour d’un angle sombre ou du fouillis d’un buisson, une main tendant un pistolet, un rescapé hagard en quête d’une identité usurpée, des joueurs de tennis qui cherchent une invisible balle ou, comble de l’étrange, un simple visage surgi d’une fourrure. L’image dès lors n’aura de spectaculaire que ce que notre imaginaire lui prête. C’est un journal de bord ou de bordure, une chronique existentielle, la trame erratique des élans d’un être inquiet qui se laisse dériver, qui se méfie des histoires trop belles à raconter, et qui sans cesse questionne ce qui l’entoure, tout en parvenant parfois à en habiter la timide beauté. L’intitulé lui-même sous lequel on peut regrouper ces séries (Zones) lorgne à ’évidence vers Tarkovski et Chris Marker – poètes et témoins encore si humains d’une discrète et impalpable apocalypse. Mais ce travail n’est pas pour autant référentiel : il construit un monde d’une remarquable cohérence interne, où règne apparemment un calme plat, mais d’où sourdent de bas bruits perturbateurs, entre la prose du bitume et le souffle des feuillages remués par le vent. Peut-être des battements de coeur, et quelques vibrations de couleur. Mais souvent, reflets et dédales d’une trop moderne solitude, d’un malaise prégnant.
Les images de Michel Mazzoni agitent, d’un même imperceptible bruissement, le sens du récit et la direction du regard, sans avoir besoin d’esquisser le moindre geste. Et nous redisent que choisir un point de vue reste la meilleure manière de commencer à savoir et à dire qui nous sommes, à voix basse, au milieu de nulle part, face à personne.
EdA